Type : Revue de presse
Titre : Où sont les femmes ?
Date : 30/11/1999
On aurait pu croire que le secteur naissant de la nouvelle économie favoriserait un rééquilibrage des postes à responsabilités entre hommes et femmes. Pour l’instant, il n’en est rien! Sur Internet aussi, les femmes restent très largement sous-représentées au sein des décideurs. Alors que plus de 500 personnes sont présentes dans notre carnet des décideurs de la nouvelle économie, on ne recense que 41 femmes, soit moins de 8% de l’effectif total. Plus inquiétant encore, moins d’une vingtaine seulement occupent des fonctions de direction générale (PDG ou DG) au sein de leur société. Parmi elles, on retrouve des femmes d’expérience comme Anne Sinclair, à la tête des activités Internet de TF1, ou Elisabeth Chamontin, en charge des éditions électroniques du groupe Investir. Pour elles, Internet constitue une étape dans une carrière. Mais elles cotoient de jeunes « entrepreneuses », pour lesquelles il s’agit là d’une véritable première expérience de management. Parmi ces dernières,Catherine Koste, directrice générale de Tradweb, un site BtoB spécialisé dans les activités de traduction professionnelle, qui estime que « la création d’une entreprise est en général difficile pour une femme, qui doit entre une vie professionnelle dévorante et une vie familiale. Dans le secteur des start-up de la nouvelle économie, poursuit-elle, le problème est encore accru, car la naissance même de ces sociétés dépend souvent des financeurs, business angels et capitaux-risqueurs.Or, il s’agit de milieux extrêmement machos. »
Les femmes sont effectivement très peu nombreuses au sein des structures de capital-risque, comme le reconnaît l’une d’entre elles, Florence Ribes, associée chez Leonardo Finance, « d’abord parce qu’il s’agit de postes extrêmement prenants ». Mais,estime-t-elle, « les choses évoluent et je ne suis plus une exception. Je ne crois pas que le secteur soit aussi peu ouvert aux femmes qu’on le dit. » Alexandra de Waresquiel, PDG
de Newsfam, concède pour sa part être privilégiée : « Je dirige une société qui édite un site dédié aux femmes et cinq femmes siègent à notre conseil d’administration. Par ailleurs, chez notre partenaire financier, Appax, nous travaillons avec l’une des rares femmes dans ce métier du capital-risque. Mais
lorsque nous avons commencé à travailler avec Appax, notre interlocuteur était un homme et cela ne nous a pas vraiment posé de problème. C’est d’abord une question d’habitude de dealer avec des hommes! »
Maïlys Cantzler, PDG de la société de marketing Arithmédia, pense même que le fait que le monde des « VC » soit d’abord un milieu d’homme est un avantage. « Cela crée un climat différent lorsqu’ils se retrouvent face à une femme chef d’entreprise, expique-t-elle. Ils sont habitués à côtoyer des femmes secrétaires, assistantes ou traductrices, alors la négociation d’égal à égale est souvent pour eux une surprise. » Elle précise d’ailleurs : « De toute façon, mon associé est un homme. Si nous étions tombés sur des interlocuteurs machos, il aurait pu mener la discussion. » Maïlys Cantzler souligne quand même que chez
Arithmédia, « les hommes sont aujourd’hui largement majoritaires, et lorsque, à compétence et conditions égales, je peux recruter une femme, je suis contente de pouvoir rétablir un certain équilibre. » D’autres « décideuses » de l’Internet français affirment s’être trouvées à l’abri de ces questions. Parmi elles, Anne-Laure Brémond, à la tête de la régie Alynet avec son associé. « Je n’ai jamais vraiment souffert de discrimination ou de difficultés particulières, précise-t-elle, D’abord parce que nous n’avons pas eu besoin de capital-risque. Ensuite, parce que je suis associé avec un homme. Mais il est vrai que le milieu de l’Internet est d’abord un univers masculin et il faut savoir se faire entendre, ce qui n’est pas toujours évidet. »
Petra Friedman, récemment nommée à la tête de la filiale française de Qxl (en remplacement d’un homme), propose une autre piste : « Le milieu de l’Internet était au début peuplé techniciens pointus, une catégorie où les femmes sont assez rares. » Pour elle, qui est devenue la première femme diriger une filiale nationale chez Qxl, « Les choses peuvent changer avec l’arrivée d’un deuxième vague de managers plus expérimentés, pour lesquels le critère de sélection sera d’abord la compétence, ce qui n’était pas toujours le cas. Je pense que là, beaucoup de femmes auront une carte à jouer. » Une dirigeante d’une entreprise du secteur, qui souhaite rester anonyme, suggère, non sans ironie, une autre explication à cette faible représentation des femmes: » Beaucoup de ces fameux entreprenautes ont lancé leur société sur une fausse bonne-idée marketing et initié des projets pharaoniques reposant sur ces coups de génie très limités. Il y a là beaucoup de bluff et un comportements proche de l’immaturité. Les femmes sont moins sujettes à de tels excès. » On laissera la conclusion à Elisabeth Chamontin, directrice des médias électronique au sein du groupe Investir.
« Cette sous-représentation des femmes dans les postes à forte responsabilité n’est pas surprenante. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, une femme doit toujours en faire davantage qu’un homme pour parvenir au même niveau de responsabilités. Internet n’a rien changé à cela! » C’est parce qu’elle est convaincue qu’il faut constituer un réseau d’entraide entre les femmes, très minoritaires dans ce milieu, qu’ Elisabeth Chamontin a créé avec quelques amis une association baptisée Internenettes. Elle n’est pas la seule aujourd’hui à chercher à mettre en place ce type de réseaux informels : Cyber-elles, le « Business Club des professionnelles de l’Internet », est en cours de création et organisera à la fin du mois sa première conférence-débat autour du thème : « La femme, avenir du Web ? »